En janvier 2006, Antoine Gariel était encore étudiant en maîtrise d’histoire à l’ICES lorsqu'il a été recruté pour seconder le directeur des affaires culturelles de la communauté de communes de Montaigu.
Quinze ans plus tard, à 38 ans, il est le directeur du Théâtre de Gascogne à Mont-de-Marsan, a été fait chevalier des Arts et des Lettres l'an dernier et annonce un grand festival sur l’Arménie pour ce printemps 2022.
Antoine, pourquoi avoir choisi l’ICES ?
Après deux ans de prépa, je me suis orienté vers cet établissement suite à un échange téléphonique avec Jean-Pierre Deschodt, le directeur du département d’Histoire de l’Institut, dont la fougue m’a convaincue de m’inscrire et de rester. J’ai donc achevé ma licence d’Histoire avant d’effectuer mon mémoire de maîtrise de recherche à l’ICES (2006) ; « Malouet : itinéraire révolutionnaire 1740 - 1814 », dont le sujet portait sur la vie d’un de mes ancêtres. Vraiment, je garde un très bon souvenir de ces années passées à La Roche-sur-Yon.
Que retenez-vous de votre passage à l’ICES ?
J’en retiendrai trois : l’exigence, la convivialité et la mixité.
L’exigence, tant académique qu’intellectuelle, car je pense que nous ne venons pas uniquement à l’ICES pour nous remplir la tête, mais aussi pour apprendre à penser correctement. De plus, j’ai eu la chance de pouvoir revenir à l’ICES comme enseignant pendant un an, ce qui m’a vraiment permis de m’astreindre à donner ce que j’avais moi-même reçu auparavant.
La convivialité, car la proximité entre étudiants de toutes filières, mais aussi entre étudiants et professeurs, ainsi qu’un cadre de vie agréable forment une vie étudiante saine. Il y a un véritable esprit de famille qui naît et perdure.
Et la mixité, car les vendéens sont très accueillants envers les étudiants venus d’ailleurs. Cela permet un enrichissement culturel et un dépassement de potentiels clivages.
Quel a été votre parcours suite à votre passage à l’ICES ?
Après ma maîtrise, suite au hasard d’une rencontre avec Antoine Chéreau, maire de Montaigu, ma carrière dans le monde de la culture a pu débuter. Ce dernier, faisant le pari fou de miser sur un jeune diplômé, m’a fait confiance et j’ai pu travaillé dans le domaine culturel pour la Communauté de communes Terres de Montaigu. J'ai eu l'occasion de participer à la création du Théâtre de Thalie et au développement d'un salon du livre "Le Printemps du Livre de Montaigu", d'un conservatoire de musique et d'un cinéma.
Puis, j’ai été contacté en 2013 par la ville de Mont-de-Marsan pour un poste qui alliait la direction des affaires culturelles et la direction de trois théâtres.
Je pense qu’il faut savoir laisser la main et apporter son expérience ailleurs, plutôt que de s’enliser en terrain connu. Dans le domaine de la culture, il est préférable de s’investir pleinement pour quelques années dans un projet, au risque de perdre l’essence créatrice.
Parlez-nous de votre réalisation, le Théâtre de Gascogne...
Pour ce qui est de la forme, il faut savoir que toute action culturelle a pour finalité d’être reliée et de structurer un territoire. Tout projet doit donc être pensé, certes dans sa dimension purement culturelle, mais aussi dans sa dimension économique. Car la culture crée des emplois. Pour la petite histoire, en France, elle en crée bien plus que le secteur automobile !
Ainsi, en arrivant à Mont-de-Marsan, j’ai eu pour mission, de redynamiser la politique culturelle de la ville. À mon arrivée en 2013, il y avait trois théâtres indépendants. Il a fallu réaliser la fusion pour créer le Théâtre de Gascogne. Aujourd’hui, une quinzaine de permanents ainsi qu’une quinzaine d’intermittents gèrent le site, soixante-dix spectacles sont produits chaque année et plus d’une vingtaine de projets sont en maturation. Pour en arriver là, cinq objectifs ont guidé cette création :
- Offrir une saison pluridisciplinaire où tous les arts se rencontrent ;
- Apporter une aide matérielle aux créateurs en mettant à disposition des structures d’accueil. Chaque année, entre 10 et 15 compagnies répètent dans notre théâtre. La pluralité des lieux permet d'offrir un important volume d’activités, avoir des troupes en permanence en résidence, programmer des spectacles toute l’année et disposer d’un théâtre libre pour des activités ponctuelles ;
- Faire venir les publics qui s’ignorent comme les groupes scolaires ou les non-initiés aux pratiques théâtrales, tout en fidélisant le public habitué. Il nous arrive de programmer des spectacles au centre pénitencier. Quand on ne peut pas aller au théâtre, c’est le théâtre qui se déplace ! ;
- Promouvoir le partenariat avec les différents acteurs du territoire, dans un souci d’en construire un maillage culturel. Nous avons déjà réalisé des projets avec la base aérienne ou encore l’équipe de rugby, dans l'optique de fédérer les citoyens d’un même territoire ;
- Permettre la circulation des œuvres dans les Landes : ce que l’on a appelé la circulation des œuvres par itinérance. Car après la Gironde, les Landes est le département le plus grand de France, et tous ne peuvent venir à Mont-de-Marsan pour assister à une représentation. Nous nous efforçons de faire vivre la Culture partout.
Je reste convaincu que l’action culturelle n’est pas un accessoire, mais qu’elle doit faire du sens et doit participer à construire une identité de territoire et à participer au parcours éducatif de chacun.
Et quid de votre coup de cœur pour l’Arménie ?
Ah ! C’est un projet un peu fou ! C’est mon bijou du moment...
Suite à un partenariat lancé avec le Théâtre du Soleil mené par Ariane Mnouchkine, j’ai pu rencontrer Simon Abkarian, avec qui j’ai lié une véritable amitié. De là, je me suis intéressé à la riche culture arménienne, berceau de la chrétienté ; à la langue ; à la musique ; à l’histoire ; à la diaspora. Et le 27 septembre 2020 éclate un conflit dans le Haut-Karabakh, ravivant des braises jamais véritablement éteintes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan... Face à cette actualité brûlante, j’ai imaginé de créer un festival en l’honneur de l'Arménie, ce pays ami de la France, dans l’objectif que l’échange soit pérenne.
Bien que le lien entre Mont-de-Marsan et l’Arménie semble être ardu à effectuer, je croyais en ce magnifique projet. Il m’a fallu convaincre des élus, trouver des partenaires tant français qu’arménien, et allier enthousiasme artistique et exigences pragmatiques, qu’elles soient financières, politiques et administratives. Cela m’a toutefois permis de faire de fabuleuses rencontres, de me rendre en Arménie et d’ouvrir la voie vers une inscription dans le temps long.
En effet, je ne voulais pas que cet événement soit simplement inscrit dans la suite d'une programmation classique et que l’Arménie soit un projet comme un autre. C’est pourquoi nous travaillons à la création d’un jumelage avec la ville de Gyumri mais aussi d’échanges scolaires pour que les jeunes se rencontrent. Je crois qu’il s’agit d’un très beau projet et ne peux que vous inviter à le découvrir.
Propos recueillis par Antonin Giraud
YERAZ
Quinzaine arménienne de 21 mars au 3 avril 2022 à Mont-de-Marsan
sous le parrainage de Simon Abkarian
"En parcourant les sentiers d’Arménie, en pensées, en lectures, en recherches ou en voyages, j’ai découvert le sens profond de mots souvent galvaudés : l’hospitalité, la résilience, la créativité, le patriotisme, la transmission, la mémoire, la solidarité et le rêve. Yeraz ! C’est ainsi qu’est née l’idée de cet événement arménien à Mont de Marsan. Le Théâtre de Gascogne, lieu d’émotions et de découvertes à vivre en commun, tourne ses projecteurs vers le Caucase et souhaite ouvrir ses portes à cette Terre d’Arménie qui mérite d’être connue et reconnue. Parce qu’il faut se souvenir des arméniens ! Et si cet Hayastan artistique à Mont de Marsan permet de faire germer des liens entre Gascogne et Arménie, alors il y aura une buche nouvelle pour la flamme de la mémoire et une petite pierre de plus sur l’autel de l’amitié entre les peuples."
Antoine Gariel