Théologie
La seconde grande section du fonds se compose de théologie : des ouvrages sur certaines questions très précises mais aussi des manuels de théologie dogmatique universelle et de très nombreux livres de théologie morale et de casuistique, à l’usage des séminaristes ou des prêtres. Ces ensembles permettraient assez aisément la reconstitution d’une histoire de la formation des ecclésiastiques, ainsi que d’une histoire des mœurs, car beaucoup de cas de conscience y sont examinés.
Plusieurs ouvrages de théologie universelle passent en revue les diverses branches des études théologiques : celui d’Archdekin, axé sur les points de controverses, celui de Noël Alexandre, théologien et historien ecclésiastique janséniste français. Ce dernier fut notamment le tuteur de Colbert et exerça ses prédications devant Louis XIV, et nous tenons de lui la Theologia dogmatico-moralis, ouvrage de catéchisme « suivant l’ordre du Concile de trente », dont l’édition remonte à 1759.
En matière de théologie dogmatique, les commentaires à la Somme se multiplient. De Philippe Gamaches, nous tenons le commentaire à la Somme de Saint Thomas d’Aquin, oeuvre “à ce titre exemplaire de l'enseignement de la théologie en Sorbonne durant la première moitié du XVIIe”, dans une édition de 1634 de Cramoisy, éditeur royal. A ce travail s’ajoutent – dans une édition de 1677-1778 – d’autres commentaires sur la Somme par Estius, docteur et professeur en philosophie et en théologie, à Louvain puis à Douai, et commentateur du Nouveau Testament, ainsi que par François Du Bois en 1649, dit Sylvius, successeur du précédent et aussi nommé docteur. Une analyse approfondie des commentateurs de Saint Thomas ou de l’histoire intellectuelle du séminaire et de l’université de Douai à cette époque pourrait s'avérer très fructueuse. Des manuels de théologie plus généraux procurent des cours complets de théologie.
Quant à la théologie morale, elle est fortement représentée par des ouvrages de théologie spécialisés. Un ensemble s’intéresse aux sources de la morale chrétienne contenues dans le Décalogue, présentant notamment la Theologia moralis super decalogum du franciscain allemand Patritius Sporer, le De fontibus sacrae theologiae deq. constitutione et indole ecclesiae christianae, eiusque regimine de Pietro Tamburini, théologien et juriste italien et sympathisant janséniste, membre du « Cercle de l’Archer » janséniste à Rome. Le volume propose diverses dissertations, pour discuter de la véracité du livre de Moïse, des difficultés d’interprétation de ce passage et reprend la formule pour traiter l’ensemble des autres livres de l’Ancien puis du Nouveau Testament. Ce travail concerne davantage les théologiens, ceux qui s’intéresseraient à l’étude de l’exégèse et des sources primaires de la théologie sacrée. Le deuxième tome, tout aussi important, débat des questions de chronologies et des différentes versions textuelles, de la lectio des Écritures en langue vulgaire, avec un curieux passage sur le but et l’usage de ces témoignages, ainsi qu’une longue partie sur l’existence des traditions bibliques, leur nécessité et leur influence. Le second volume est très précieux à cet égard. Du même auteur, nous possédons également dans un plus grand format une édition lyonnaise de 1659 de l’Explicatio Decalogi e alia opera moralia qui présente un commentaire du Décalogue divisé en deux parties, accompagné d’autres oeuvres morales. Suite à une introduction sur la volonté, la conscience et le péché, l’analyse approfondie des commandements s’effectue en chapitres thématiques autour de chaque précepte.
Nous disposons aussi d’une série d’ouvrages généraux et de somme de théologie morale. Nous possédons un livre de Tournely, concentré sur le rôle du clergé, constituant une étude des mœurs fondée sur le Décalogue, ainsi que les Opuscula varia in unum corpus redacta de Lenaert Leys, dit Lessius. Celui-ci fut commentateur de la Somme et rédacteur de questions spéciales, professeur de théologie à Douai et à Louvain - il eut notamment pour élève le futur saint Robert Southwell. Il s’agit ici d’une édition lyonnaise de 1651 de Jérôme Delagarde, membre jusqu’à cette même date de la Compagnie des libraires de Lyon avec Huguetan, Rigaud et Prost, desquels nous retrouverons les travaux régulièrement dans ce fonds. Nous n’avons pas à faire ici à un ouvrage de référence ou d’enseignement. Ce dernier traite de sujets divers : il décrit et défend la perfection et les moeurs divines, puis, s’inscrivant dans le contexte des querelles religieuses de l’époque, effectue une apologie de la grâce et du libre-arbitre. Il consacre une partie aux divers questionnements de l’état de vie et de l’entrée en religion et s’achève par une dissertation au sujet de l’Antéchrist et de ses « précurseurs ». |
A noter également le volume de Besombes sur la morale chrétienne. Une redéfinition de la théologie morale à partir des Écritures Saintes, des conciles et des œuvres des Pères est effectuée dans cet ouvrage peu anodin, la Moralis christiana ex scriptura sacra, traditione, conciliis, patribus. Ponte en France de la théologie positive qui caractérisa le XVIIIe siècle, l’auteur publia cette oeuvre en 1709 ; notre édition date de 1791. Défendant la gratuité de la grâce divine, par cette notion de « grâce suffisante » développée en réaction face aux jansénistes, il ne se rapporte qu’aux Écritures, d’où l’importance du premier tome qui définit l’importance et la nature des sources de la morale chrétienne, à savoir les canons conciliaires, les Pères et Docteurs de l’Église, les jugements et décisions épiscopaux, etc. Traitant aussi des oppositions qu’elle rencontre, il suit le plan coutumier des ouvrages de théologie morale : analyse de la conscience humaine, étude des lois, des vertus théologales, de la religion et du culte, puis des préceptes du Décalogue. |
Un travail un peu plus centré est réalisé par Antoine Godeau. Habitué du salon de Madame de Scudéry, il fut l’un des premiers membres de l’Académie française et sera nommé évêque de Grasse et de Vence. Cette œuvre, intitulée Theologia moralis, se penche en particulier sur les sources de la théologie morale, la constitution de l’éthique chrétienne, la nature du péché et de la charité. Nous en possédons une édition vénitienne de 1758.
Le titre fondamental d’Honoré Tournely, professeur de théologie à Paris puis à Douai et ferme opposant des jansénistes, le Praelectionum Theologicarum… Continuatio, siue Tractatus De Universa Theologia Morali, constitue l’une des principales Sommes de l’époque. Édité de manière posthume à Venise en 1746, ce volume s’intéresse d’abord aux rôles et au fonctionnement du clergé pour poursuivre par une longue étude des mœurs, fondée en partie sur l’analyse des préceptes du Décalogue. Un appendice détaille les idées et pratiques de discipline morale condamnées par le Saint Siège, mettant ainsi en perspective certaines controverses telle que le quiétisme, la doctrine du « péché philosophique »... Sur le même mode, la Theologia morum de Hermann Busembaum, traduite et augmentée par Claude La-Croix et Francesco A. Zacharia, publiée pour la première fois en 1645, constitua la source de référence dans les écoles jésuites. Elle connut une quarantaine d’éditions jusqu’à sa condamnation en 1757, suite à l’attentat de Robert François Damiens contre Louis XV, et ce en dépit de l’apologie rédigée par le jésuite Zacharia, son associé. Nous possédons deux éditions italiennes, l’une de 1761 et l’autre de 1767 - la dernière de l’œuvre datant de 68. |
Enfin, parmi les grandes sommes de théologie morale du XVIIe siècle, nous pouvons présenter une édition de 1672 du Tribunal sacramentale & visibile animarum in hac vita mortali de Pierre Marchant, frère de Jacques Marchant, l’abbé de Couvin, dont elle affiche un portrait. L’œuvre tient une place importante au sein de l’ordre franciscain qui manquait alors d’un tel ouvrage[1]. D’autres sommes de théologie morale viennent accroître notre collection, telles que celle de Clemente Piselli, tandis que les manuels de cours font aussi leur apparition au sein du fonds, comme le Cursus theologico-moralis du jésuite Dominico Viva, ou le Compendium de Louis Habert. Des traités spécialisés sur les sacrements de Nicolas L’Herminier et Jacques de Saintebeuve examinent les questions sacramentelles du point de vue théologique.
|
[1] Schmutz, Jacob. (2008). Marchant, Pierre, Scholasticon. https://scholasticon.msh-lse.fr/Database/ Scholastiques_fr.php?ID=861
Outre ces manuels de cours de théologie morale restituant les méthodes et l’état de l’enseignement de la discipline à l’époque, certains livres se consacrent plus particulièrement à la casuistique, témoignant des grandes querelles du temps entre jansénistes et jésuites. Dans ce domaine se distinguent la Clavis regia et le Thesaurus des cas de conscience de Gregorius Sayrus, ainsi que les Moralium quaestionum de christianis officiis et casibus conscientiae du jésuite Vincenzio Filliucci, professeur de philosophie et de mathématiques, puis recteur du Collège de Sienne et de Florence. Ses « Quaestiones morales », éditées pour la première fois en 1622, firent partie du « corpus casuistique largement dénigré par Pascal dans ses Provinciales » pour discréditer les jésuites. Près de quarante ans plus tard, certaines propositions se virent en effet condamnées. Les écrits de l’auteur furent interdits par le Parlement de Bordeaux et même brûlés à Rouen, avec les travaux d’autres jésuites. Le premier volume traite des sacrements, avec un intérêt accru pour celui de la confession, les dispositions nécessaires et le choix des ministres, ainsi que pour le mariage. La question des peines, des procédures de censure et d’excommunication, ouvre le sujet des délits et des châtiments, et des « irrégularités » ou cas de conscience, interrogeant dans quelle mesure ils peuvent mener au schisme voire à l’apostasie la plus radicale. Le second tome élargit le débat au terrain eschatologique, orientant la discussion sur la finalité des actions humaines, afin de définir avec plus de profondeur ce qu’on appelle vices et vertus. Analysant ce qui constitue la foi, son rôle même et celui de « l’ignorance et du paganisme », il s’intéresse à des questions mêlant les domaines de la théologie et du droit, celles des blasphèmes, des serments et des procès. L’identité entre droit et religion transparaît au travers de ces discussions de casuistique et de droit, en faveur d’un travail sur le sujet, au temps d’Henri IV et de Louis XIII.