Histoire du livre
Le fonds Chavagnes propose des éditions assez diverses, de par leur provenance géographique, procurant un certain nombre d’informations sur les travaux des imprimeurs-libraires et sur l’évolution des partenariats, l’administration des approbations et la transmission des privilèges. Il constitue une source riche d’exemplaires pour des travaux sur les éditeurs parisiens et lyonnais, ainsi que vénitiens et romains. Nous ne dégagerons ici que les grandes lignes de leurs activités.
L'édition en France
Pour ce qui est de la France, plusieurs personnalités et groupes intéressants se prêtent à l’étude. Avant de présenter les partenariats et les associations, penchons-nous sur les grandes figures de l’édition parisienne. Au sein de la capitale, les libraires de la rue Saint-Jacques rassemblent certains des éditeurs les plus riches, comportant à la fois des sympathisants des jansénistes et des protestants et d’autres, associés de diverses congrégations jésuites ou bénédictines voire même imprimeurs royaux.
Parmi les premiers, Guillaume Desprez, dont nous possédons une édition du traité sur les sacrements de Jacques de Saintebeuve, fut notamment l’éditeur d’Arnauld et de Pascal. Il commença en 1643 comme apprenti chez Denis de La Noue, libraire de l’Université de Paris. Trente ans plus tard, il racheta le fonds du libraire Charles Savreux pour ouvrir une imprimerie. Sa marque typographique est assez changeante mais consiste généralement en un assemblage de fleurs diverses. |
Très proche aussi du milieu janséniste, Pierre Le Petit, épousa la fille du libraire Jean Camusat, dont il reprend la boutique, en collaboration avec sa belle-mère, mais il ne tarde pas à adopter sa propre marque. Il deviendra l’imprimeur de l’Académie française en 1643, ainsi que de ses amis jansénistes Arnauld d’Andilly, Pascal et Le Maistre de Sacy, lequel fut accueilli chez l’éditeur alors qu’il travaillait à sa fameuse traduction de la Bible de Port-Royal. De leur association nous possédons la traduction commentée de l’Ecclésiaste. La page de titre faisant défaut, nous n’avons pas de témoin de sa marque d’éditeur.
Le libraire Frédéric Léonard[1] couronna son parcours en dirigeant l’une des plus grandes entreprises parisiennes. Apprenti à Anvers puis à Paris chez Jean Billaine, il fut reçu maître grâce à l’appui du chancelier Séguier, gérant des privilèges et de la censure et en récupérant le fonds de Sébastien II Huré. Il fut le correspondant attitré des Elzevier, illustres imprimeurs néerlandais, établis à Leyde et à Amsterdam. Embastillé en 1661 pour avoir reçu dans son atelier un ouvrage de Jansénius, il confia son imprimerie et se retira en 1696. Il fut surtout un éditeur de la Contre-Réforme en produisant des ouvrages destinés aux protestants convertis, suite à la Révocation de l’Édit de Nantes. Il obtint de nombreux privilèges et titres, devenant imprimeur-libraire des bénédictins de Saint-Maur, du Roi pour la Guerre, les Finances et la Monnaie, du Parlement, de la Ville de Paris, de la Police, ainsi que libraire exclusif des ordres de Saint-Dominique, de Cîteaux et des Prémontrés. Il nous a laissé une édition du XVIIe siècle des commentaires d’Estius aux épîtres de Paul. Sa marque typographique met en scène un lion, tenant vraisemblablement dans sa patte l’Évangile de Marc. L’image est surmontée d’un phylactère affichant la devise suivante : « Virtute invidiam vince. » |
Maître de Léonard, Jean Billaine fut avec son frère Louis, l’imprimeur favori des bénédictins de Saint-Maur. Les Billaine avaient été choisis parce qu’ils étaient déjà les libraires principaux de l’Ordre de Saint-Benoît. Dom Luc d’Achery, l’une des plus importantes figures érudites de l’ordre, à qui l’on doit la première méthode de classification bibliographique en France, entretenait avec eux des relations suivies et les recommandait aisément[2]. De cette association intellectuelle nous a été transmise une édition de 1651 des travaux de l’abbé Guibert de Nogent, effectuée grâce aux soins de Luc d’Achery. Avec le temps, Jean Billaine se tourna aussi vers l’édition littéraire, en plein essor à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, alors que les livres religieux se vendaient moins bien. Il se consacra surtout aux classiques, tels que Boileau, Racine, Corneille... Sa marque consiste en deux mains qui se serrent, supportant un coeur enflammé, transpercé d’une flèche. Un phylactère affiche la devise : « Exarduis pax et amor. » |
Après leur collaboration avec les Billaine, les bénédictins se tournèrent vers d’autres éditeurs. Les premiers furent les Coignard, qui sur trois générations portent le même prénom : Jean-Baptiste I, II et III. En se référant aux dates, nous pouvons observer que nos éditions proviennent des second et troisième du nom. Ils furent tous imprimeurs du roi et bénéficièrent de nombreux privilèges. Le second fut notamment éditeur de l’Académie française dont il imprima le premier Dictionnaire ; il nous a laissé une très belle édition des Lettres de saint Augustin, traduites en français, tandis que son fils, qui épousa la veuve du libraire lyonnais Antoine Boudet, nous a transmis un dictionnaire de casuistique et un ouvrage de droit canonique. La marque typographique du second présente deux petits anges : celui de gauche tient une sorte de caducée, ainsi que la table du premier commandement ; celui de droite, une croix et un calice. Un livre ouvert trône au milieu et une inscription en hébreu surmonte l’ensemble. |
D’autres vinrent prendre la relève des Billaine : François Muguet et ses héritiers. Fils d’un imprimeur lyonnais, grand protégé de Fouquet, celui-ci fut nommé imprimeur du Roi puis de l’archevêque de Paris et du Parlement. Il reçut ensuite les charges d’huissier et d’imprimeur du Clergé de France. Son fils et sa veuve travaillèrent aussi pour les Mauristes. Ils détenaient en même temps que les Coignard les typographies les mieux équipées de Paris[3]. Dans une édition de Muguet non datée, nous possédons les très intéressants Mélanges du jésuite Étienne Baluze, qui fut un juriste, historiographe et patristicien de renom, ainsi que le bibliothécaire de Colbert. La marque de François Muguet présente un bouquet de fleurs contenu dans une sorte de vase. |
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Notre fonds concerne aussi un associé des Billaine, Denis Béchet. Neveu du libraire parisien Jérôme Drouart, chez qui il effectua son apprentissage vers 1626-32, il fut reçu maître. Il succéda à son ancien associé, Claude Sonnius, avec qui il avait imprimé pour les jésuites. Il occupa diverses charges, comme celles de consul, de juge-consul, d’administrateur des hôpitaux. Il devint membre de la Compagnie des usages réformés. Nous lui devons deux ouvrages importants du fonds Chavagnes : une édition de la Somme de saint Thomas, en partenariat avec les frères Cramoisy et Pierre Le Petit, ainsi qu’un volume précieux des œuvres de Synésios de Cyrène, en bilingue latin-grec. Dans son Histoire du livre en France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, Edmond Werdet le désigne comme « le libraire le plus habile de son temps », se distinguant « par la grande connaissance qu’il avait des libres[4] ». La marque de Béchet présente son enseigne, un visage au sein d’un soleil, portée par un écusson, surmonté d’une couronne. Le tout est encadré par deux angelots sur un rectangle sculpté. |
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À côté de la rue Saint-Jacques, nous trouvons les éditeurs du Palais, qui s’occupent davantage d’œuvres littéraires, plus « mondaines ».
L’un des grands noms qui se distinguent est celui d’Abel l’Angelier, issu d’une grande famille d’éditeurs-libraires. Fils du libraire parisien Arnoul L'Angelier et frère utérin de Lucas II Breyer, il épousa Françoise de Louvain, veuve du libraire parisien Pierre Du Pré. Il fut notamment l’éditeur de Montaigne et de Pierre de Larivey. Il imprima l’Astrée d’Honoré d’Urfé, dont le succès et l’influence furent considérables auprès de la noblesse, ainsi que les Lettres de Guez de Blazac. Il récupéra certains privilèges d’éditeurs, tels que celui de Simon Millanges, libraire de Bordeaux, et entreprit de nouer certains partenariats avec Borel, La Noue et Breyer[5], pour sortir des éditions partagées sur des auteurs antiques. Il étendit son activité jusqu’à Lyon, en s’alliant à Benoît Rigaud. De lui nous reste la Paraphrase des CL. Pseaumes de David de l’humaniste Antoine de Laval. Sa marque ne nous est pas restée car la page de titre consiste en un frontispice sculpté sur page entière.
Si les éditeurs du Palais étaient de manière générale moins fortunés que ceux de la rue Saint-Jacques, un autre lignage prend la tête de l’édition parisienne dans la première moitié du XVIIe siècle : celui des Cramoisy, qui connurent alors une ascension fulgurante. Comme l’explique Jean-Marc Chatelain dans son ouvrage D’encre et de papier : une histoire du livre imprimé, « [Sébastien Cramoisy] est l’exemple même de ces grands entrepreneurs de libraires héritiers de familles qui s’étaient mises au service de la Ligue catholique autour des années 1590 [...][6]. » Les deux frères, Claude et Sébastien Cramoisy, étaient les petits-fils de Sébastien Nivelle, l’un des grands libraires parisiens de la fin du XVIe siècle. Le premier récupéra notamment l’entreprise des L’Angelier. Tous deux firent partie de compagnies de libraires et entretinrent d’étroits partenariats d’édition avec certaines congrégations, telles que les Cisterciens ou les Jésuites – pour lesquels ils publièrent nombre de manuels de classe, destinés aux collèges de la Compagnie. Ils travaillèrent pour la Contre-Réforme et pour le Roi, grâce auquel ils se virent attribuer divers monopoles et privilèges. Ils nouèrent des relations personnelles avec Richelieu et avec Colbert, à travers de nombreux pays, de l’Espagne à la Hollande. Sébastien Cramoisy connut une forte rivalité avec Antoine Estienne, protestant converti et ancien imprimeur du roi, qui avait fait faillite. Ce dernier mena les petits imprimeurs et les libraires étalant dans un mouvement d’opposition aux grands libraires, qui détenaient d’importants monopoles, mais ils furent durement réprimés. Cramoisy fut nommé échevin de Paris, membre de la Compagnie des Cents associés, constituée par Richelieu pour le Canada. Sébastien se livra au trafic des lettres de change avec son frère Gabriel, ce qui entrainera la faillite de la maison. « De 1620 à 1690, les Cramoisy « sortirent » plus de 2 500 volumes, sans compter des milliers de pièces volantes et d’actes officiels – plus qu’aucun libraire français ou étranger de leur époque[7]. » Nous ne disposons pas de leur marque typographique.
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Nous le verrons à travers ce fonds, le recours à l’« édition partagée » s’avéra, au XVIIe siècle, assez fréquent, en raison des frais sans cesse croissants de la production du livre et du coût du papier. La création des grandes compagnies suit le même principe, pour pouvoir réaliser des tirages à grandes échelles et de grandes éditions.
En parallèle de la Compagnie des Usages – chargée de « l’édition des livres de liturgie réformés selon les décisions du concile de Trente[8] », c’est-à-dire des bréviaires et des missels romains dans les versions nouvelles, promulguées par Pie V en 1568-70 – se forme une importante association : la Compagnie de la Grand-Navire. Il s’agit d’un partenariat d’imprimeurs parisiens, formé expressément pour la publication des Pères de l’Église en 1582, par Richelieu. La Compagnie se reconnaît simplement à sa marque typographique particulière en forme de Navire, portant la mention « Lutetia » et les armoiries royales, avec des voiles à fleur de lys. Elle se trouve parfois accompagnée de la mention « Typiis regiis » ou "Ad Magnam Navem". Nombre de grands libraires, y compris des imprimeurs royaux, en firent partie, tels que les frères Sonnius, Sébastien Nivelle, Abel L’Angelier, Chesneau, Kerver, Moreau, Thierry, Denis Béchet et ses cousins, Sébastien et Gabriel Cramoisy, lesquels conservèrent leurs privilèges jusqu’en 1660. |
[1] La Caille (de), Jean. (1689). Histoire de l'imprimerie et de la librairie, où l'on voit son origine et son progrès, jusqu'en 1689, Paris, chez Jean de la Caille, p. 237.
[2] Martin, Henri-Jean. (1957). « Les Bénédictins, leurs libraires et le pouvoir. Notes sur le financement de la recherche au temps de Mabillon et de Montfaucon » In : Revue d'histoire de l'Église de France, Société d’Histoire Ecclésiastique de la France, tome 43, n°140, p. 273-287.
[3] Martin, Henri-Jean. (1957). « Les Bénédictins, leurs libraires et le pouvoir. Notes sur le financement de la recherche au temps de Mabillon et de Montfaucon » In : Revue d'histoire de l'Église de France, Société d’Histoire Ecclésiastique de la France, tome 43, n°140, p.275.
[4] Werdet, Edmond. (1864). Histoire du livre en France : depuis les temps plus reculés jusqu’en 1789. Chez E. Dentu et Augsute Aubry, Paris, Tome 2, p. 179.
[5] Balsamo, Jean et Michel Simonin. (2002). Abel L'Angelier & Françoise de Louvain (1574-1620) : suivi du catalogue des ouvrages publiés par Abel L'Angelier (1574-1610) et la veuve L'Angelier (1610-1620), Librairie Droz S. A., Genève, p.60.
[6] Deloignon, Olivier, Jean-Marc Chatelain et Jean-Yves Mollier. (2021). D’encre et de papier : une histoire du livre imprimé, Imprimerie nationale, p.145.
[7] Martin, Henri-Jean. (1952). « L'édition parisienne au XVIIe siècle : quelques aspects économiques. » In : Annales. Economies, sociétés, civilisations. 7ᵉ année, N. 3, p.306.
[8] D’encre et de papier : une histoire du livre imprimé, p.146.
Du côté de Lyon, l’activité éditoriale est tout aussi foisonnante. La position favorable de la ville comme centre d’échanges et de commerce y est pour beaucoup. Si Paris demeure le centre d’édition des textes bibliques et patristiques, Lyon s’occupe des publications de théologie dogmatique et morale, et des cas de conscience. L’imprimerie lyonnaise connaît son âge d’or au XVIe siècle ; le siècle suivant, marqué par une augmentation des coûts d’exportation et de production du livre, voit évoluer « une pléthore de maîtres qui, trop nombreux pour des débouchés qui se restreignent, doivent s’associer [...][1]. »
Pendant ce temps, c’est la librairie anversoise qui connaît son essor, grâce à la montée en puissance de l’université de Leyde. L’élite érudite hollandaise s’incarne notamment à travers la figure de Daniel Heinsius, « directeur éditorial avant la lettre[2] », dont nous détenons une édition de Clément d’Alexandrie.
Comme à Paris, la profession de libraire se transmet souvent sur plusieurs générations. Le phénomène s’accentue en raison de la difficulté croissante pour obtenir la licence, à partir d’une loi de 1667 interdisant la nomination de nouveaux libraires sans l’assentiment du Roi. Intéressons-nous aux différents groupes et partenariats d’éditeurs lyonnais que l’on retrouve dans les éditions du fonds Chavagnes.
La première association qui pourrait attirer l’œil est celle de Huguetan et Ravaud, deux familles de libraires calvinistes bien implantées. Plusieurs générations exercèrent consécutivement la profession, mais les figures qui nous intéressent plus particulièrement dans le cadre du fonds Chavagnes sont celles de Jean-Antoine II Huguetan et Marc-Antoine Ravaud. Tous deux étaient beaux-frères et travaillèrent ensemble pendant plus de quinze ans. Jean-Antoine succéda à son père du même nom et revendit son fonds à ses deux fils, tandis que Marc-Antoine succéda à son père Pierre Ravaud, libraire lyonnais d’origine genevoise. Leur marque typographique affiche « une main sortant d’un nuage [qui] saisit une sphère armillaire, flanquée des figures de Ptolémée et d’Euclide[3] ». De cette association, nous détenons des éditions des Epitomes annalium ecclesiasticorum de Cesare Baronio, les travaux de Jeremias Drexel, ainsi que l’Explicatio Decalogi de Tommaso Tamburini. |
Huguetan établit aussi des partenariats avec Guillaume Barbier et Pierre Chevalier, sous la mention « Joannis-Antonii Huguetan, & Soc. » (« Jean-Antoine Huguetan et compagnie »), dont nous possédons aussi la marque identique à celle qu’il partageait avec Ravaud. Guillaume Barbier a un homonyme. Celui qui est représenté au sein du fonds nous est connu notamment pour avoir intenté avec son associé Huguetan un procès aux contrefacteurs Faëton et Guayet[4], qui avaient imprimé un livre de médecine dont les deux lyonnais détenaient le privilège. Du partenariat Huguetan-Barbier nous est resté un traité de théologie de Tommaso Del Bene. |
Huguetan fut aussi membre de la Compagnie des libraires de Lyon (« Societas bibliopolarum[5] ») avec Claude II Rigaud, Claude Prost et Jérôme Delagarde. Ce dernier fut poursuivit pour des contrefaçons de Sébastien Cramoisy et travailla également aux côtés de Jean Girin. Nous avons de lui les Opuscula varia de Lessius. Sa marque, gravée par Louis Spirinx, présente la symbolique de l’Espérance, avec une jeune nymphe, entourée de fruits, de fleurs, et de quelques symboles tels que l’ancre et le navire. Le médaillon central porte sa devise « Numine, nomine et omine ». |
Autre membre de la Compagnie des libraires de Lyon, Claude Prost racheta en 1650 le fonds des héritiers de Gabriel Boissat, en association avec Laurent Arnaud et Philippe Borde[6]. Son fils Jérôme prit aussi part à son activité et quitta Lyon pour Paris où il devint le gendre de Gabriel Cramoisy. Parmi ses héritiers, nous trouvons Jacques et Pierre Prost, qui nous ont laissé un ouvrage de théologie morale de 1688, contenant les œuvres de Vincenzo Candido. Leur marque expose un aigle, entouré de la devise « In virtute fortuna », se tenant sur une sorte de stèle arrondie et dominant deux serpents. Deux femmes, tenant une couronne de laurier, ainsi que deux anges les entourent. |
Associé de Philippe Borde, de Claude II Rigaud et des héritiers de Pierre Prost, le libraire Laurent Arnaud évolua progressivement dans la profession. Il devint échevin de Lyon et se retira en 1681, « au profit de ses neveux Jean et Pierre Arnaud ». Quant à Philippe Borde, originaire d’Orléans, il épouse la fille du libraire lyonnais Claude I Rigaud et se remarie, après veuvage, à la veuve de Gabriel Boissat. Nous avons des éditions de Laurent et de Pierre Arnaud, réalisées en commun avec leurs habituels associés, Philippe Borde et Claude II Rigaud. Leur marque commune présente trois personnages en chemin, parmi lesquels se trouvent un génie, qui sème le grain, le pied sur un globe ; le Temps, tractant une charrue et brandissant un sablier ailé ainsi qu’une faux ; enfin, Minerve, dans sa tenue antique, avec son casque et sa lance[7]. La devise « Cum tempore virtus semina fortunae geminat. » entoure la scène, dans un phylactère. Non content de s’associer à ce trio, Claude II Rigaud fit aussi affaire avec Jean-Antoine Huguetan[8]. Son fils s’alliera aux Anisson et à Posuel.
Les Anisson incarnèrent l’une des grandes familles de libraires lyonnais. Laurent Anisson, fils d’un marchand de Vienne, entra en apprentissage chez les frères Cardon, dont il reprendra le fonds et la boutique en 1635. Il fut associé de Gabriel Boissat et de ses héritiers. Il devint échevin de la ville et seigneur d'Hauteroche. Il est connu comme un redoutable homme d’affaire, ayant détruit les commerces de nombreux concurrents, au moyen d’une « guerre de contrefaçons ». Ses fils Jean et Jacques I Anisson continuèrent de publier sous son nom au moins jusqu'en 1691. Ils publièrent de grands ouvrages de théologie, tels que l’estimable Maxima Bibliotheca verterum Patrum en 27 volumes. Les Bénédictins entretinrent d’étroites relations avec eux et leur rendirent de grands services. Lorsqu’ils vinrent s’établir à Paris, ils ne réussissent leur entreprise que grâce à l’aide des bénédictins et d’amis comme Ducange. Dom Mabillon en particulier séjournait parfois chez les Anisson. Lorsqu’il fut envoyé en Italie, en compagnie de Dom Germain, afin de se procurer divers manuscrits et imprimés pour le Roi[9], Anisson s’occupa de mettre en relation les deux moines avec le monde savant italien. Pendant que Jacques voyageait, Jean se montra plus fixe. Installé à Paris, il fut appelé à remplacer Billaine, l’éditeur des mauristes et de Ducange, pour l’édition du glossaire grec de ce dernier, grâce à l’entremise des Bénédictins. C’est sans doute grâce à leur appui qu’il est nommé libraire du roi en 1691 : il devient directeur de l’imprimerie royale. La marque de Laurent Anisson, portée par notre exemplaire du Corpus Juris canonici, consiste en une fleur de lys, ornée de fleurs diverses et dont la pétale centrale est remplie de grains[10]. Deux génies portent des palmes et l’écusson central. |
Associés aux Anisson, les Boissat sont représentés par Gabriel et ses héritiers. La marque de Gabriel est très semblable à celle des Anisson : une grenade dans une fleur de lys, entourée de deux personnages, portant une couronne de laurier. Il mourut avant la majorité de son fils Horace, qui eut alors pour tuteur Simon Rigaud, fils de Claude I Rigaud, et Laurent Anisson. Ce dernier entreprit de diriger l'officine "Héritiers de Gabriel Boissat" jusqu'à un différend qui conduisit Horace à entrer en procès avec son tuteur. Il ne s'établit et ne commence à publier à son compte qu'en 1660, puis fera faillite à la fin des années 1660. |
[1] Caplat, Mireille. (1985). Deux libraires lyonnais au temps de Louis XIV : Guillaume et François Barbier. École Nationale Supérieure des Bibliothèques, Villeurbanne, p.1.
[2] D’encre et de papier : une histoire du livre imprimé, p.142.
[3] Despeisses, A. (Les Oeuures, 1660) : portada (chez Iean-Antoine Huguetan, & Marc-Antoine Rauaud), « Printers’devices », Universitat de Barcelona. https://marques.crai.ub.edu/en/printer/a13900 47x
[4] Béroujon, Anne. (2006). « Les réseaux de la contrefaçon de livres à Lyon dans la seconde moitié du XVIIe siècle ». Archive ouverte HAL. file:///C:/Users/Actif/Downloads/1885-4002-1-10-20200116%20 (1).pdf
[5] BNF. « Jérôme Delagarde (libraire, 16..-166.?) ». Data BNF. https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb1662760 6v
[6] BNF. « Claude Prost (libraire, 16..-167.) ». Data BNF. https://data.bnf.fr/fr/12266668/claude_prost/
[7] Monfalcon, Jean-Baptiste. (1857). Manuel du bibliophile et de l’archéologue lyonnais. Paris, Adolphe Delahaye, p. xxiv.
[8] Vingtrinier, Aimé. (1894). Histoire de l’imprimerie à Lyon, de l’origine jusqu’à nos jours. Lyon, Adrien Storck, p. 355.
[9] « Les Bénédictins, leurs libraires et le pouvoir. Notes sur le financement de la recherche au temps de Mabillon et de Montfaucon », p. 277.
[10] Manuel du bibliophile et de l’archéologue lyonnais, p. xxxv.