Entretien avec Dove Attia, réalisateur du spectacle musical Molière

23 février 2024

Jeudi 22 février, le réalisateur du spectacle musical Molière, l’opéra urbain, était présent à l’ICES dans le cadre du séminaire “Napoléon, une histoire vivante”. Il est intervenu auprès des étudiants du master Histoire vivante de l’ICES.

Que venez-vous apporter aux étudiants de l’ICES dans ce séminaire “Napoléon, une histoire vivante" ?

"Je viens montrer comment l’histoire peut être vivante et peut se décliner à travers les arts, en l'occurrence le spectacle musical. Rendre l’histoire vivante, c’est la rendre divertissante sans trahir l’essence des héros et de l’histoire. Bien sûr nous prenons quelques libertés d’espace et de temps pour créer une dramaturgie, mais sans jamais trahir l’essence même du propos."

Après Louis XIV, Mozart et Molière, pourquoi Napoléon est-il intéressant à mettre au cœur d’une comédie musicale ?

Napoléon est très intéressant car c’est un héros. Je recherche dans mes spectacles ces hommes ordinaires qui ont eu un destin extraordinaire. Ce projet de comédie musicale ne sera pas seulement Napoléon mais Joséphine et Napoléon. Ce qui m'intéresse c’est le parallélisme entre les deux destins, et la femme qui était derrière l’homme.

Quels défis pensez-vous rencontrer lorsqu’il s’agit de rendre l’histoire de Napoléon accessible et captivante pour un public contemporain ? 

C’est un défi que j’ai dans tous les spectacles. Il faut revenir à l’homme et à sa psychologie. On revient aux blessures, aux failles qui font qu’un homme va être poussé vers un destin extraordinaire. Donc je reviens à l’humain. Le défi est là : enlever la perception rébarbative que peuvent avoir certaines personnes face à l’histoire. Il faut être dans l’essence du propos et pas dans les détails des faits. C’est toujours le défi à relever : créer une dramaturgie, le “il était une fois”.

La comédie musicale donne plus envie aux jeunes de se pencher sur l’histoire, par l’émotion de la musique. Ainsi, je peux toucher un public très différent. Le spectacle Molière par exemple, les enfants y assistent dès huit ans. Donc j’ai des lettres de maîtresses d'écoles et de parents qui me disent “Les enfants veulent étudier et demandent à jouer Molière”. Je reçois des vidéos de pièces de Molière, jouées grâce au spectacle. 

Dove Attia
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Quels conseils donneriez-vous aux étudiants d’histoire de l’ICES qui aspirent à créér des spectacles historiques ? 

Déjà j’ai fait connaissance avec une belle création, je ne savais pas que le projet venait de l’ICES, c’est La Dame de Pierre, qui est un véritable succès.

Si les étudiants veulent rendre l’histoire vivante et en faire un divertissement, les connaissances qu’ils ont acquises en histoire vont être extrêmement utiles. Après ils faut qu’ils se détachent de la succession des faits, de la biographie, et s’attacher au héros. Qu’est ce qu’on veut raconter ? Qu’est ce qu’on veut démontrer ? Et comment extraire cette petite histoire de la grande Histoire, et faire du personnage un héros ? 

Si demain ils veulent y arriver, je leur conseille de lire des livres sur la dramaturgie : comment écrire des scénarios. Quand ils liront ces livres, mélangés à leurs connaissances, ils vont rendre l’histoire vivante, parce que d’un pan de l’histoire il faut sortir une dramaturgie, avec un héros, avec un but, avec des obstacles, et pour cela il faut avoir un point de vue. Ils vont rendre vivante l’histoire en amenant leur point de vue.

 

Comment naviguez-vous entre l’authenticité historique et la créativité artistique lors de la production de comédies musicales historiques ?

On ne dénature jamais l’aspect historique. Le point de vue permet de donner un sens à certains faits. Si je prends l’exemple de Napoléon, ce qui est important dans le point de vue c’est son déracinement. Il a été arraché à la Corse, à sa terre natale, à sa famille et il a été dans une école à Brienne ou il a été moqué par son accent, par son physique. Ces failles, ces humiliations qu’il a subi sont là où je vais souhaite mettre l’accent. Alors que pour un historien c’est un détail dans une énorme biographie de Napoléon, pour moi c’est très important parce que c’est ça qui va faire le héros. 

Ces blessures je vais les mettre en avant, je vais démarrer par ça et c’est ce qui va expliquer pourquoi il va devenir Napoléon. 

Molière lui est blessé dans la relation avec son père, qui souhaite que son fils aie la charge de tapissier du roi. Il lui dit non pour suivre Madeleine Béjart, une comédienne. Ce père dont il cherchera toute sa vie sa reconnaissance va être le moteur de Molière.

L’enfance du Roi Soleil c’est la Fronde. On a voulu lui voler son trône, il a eu faim, arraché à sa mère, à se cacher dans les combles pour échapper aux émeutiers. C’est ce qui a créé la blessure, toujours le moteur du héros. 

Le point de vue c’est mettre l’accent sur certains points et oublier d’autres points. Faire des ellipses d'espace et de temps permet au spectacle d’être du divertissement. Sinon on ne peut pas faire le “il était une fois”. Car en deux heures on ne peut pas tout dire, c’est impossible. Pour qu’il y ait de la profondeur et qu’on s’attache au héros, on est obligé d’oublier beaucoup de personnages et d'événements. 

Ce qui est important pour moi, et tout le monde ne respecte pas cela, moi j’y tiens, c’est ne jamais trahir le personnage historique et toujours rester fidèle à l’histoire.

 

Quel message ou émotion espérez-vous transmettre dans chacune de vos comédies musicales ?

C’est important ce que vous dites parce que dans tous mes spectacles il y a ce qu’on appelle le thème. 

Dans le Roi Soleil c'était être à la hauteur, symbolisé par une chanson. C’est quelqu'un qui a voulu être à la hauteur et c'était son moteur pour atteindre la grandeur. 

Pour Molière, le message est que l’échec est une victoire. Toute la vie de Molière était parsemée d'échecs qui l’ont amené à la postérité. Il a toujours gardé son rêve intact et n’a jamais perdu sa passion.

Pour Napoléon, je dirais que c’est la force de la volonté. Avec la volonté tous les obstacles s’effacent. “Quand on veut, on peut” : personne dans l’histoire n’a démontré cette maxime autant que Napoléon. Personne.