Entretien avec l’économiste Jean-Marc Daniel

12 janvier 2024

L’ICES accueille depuis la rentrée universitaire 2023 l’économiste et essayiste français Jean-Marc Daniel. Sympathisant de Thierry Lentz, professeur associé d’histoire, il a choisi de rejoindre l’aventure ICES pour transmettre sa passion de l’économie. Entretien avec une figure emblématique du monde économique actuel…

Ingénieur de l’Ecole Polytechnique, il est également diplômé de l’École nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE) et de l’Institut d’études politiques de Paris. Il a travaillé à l’INSEE et dans la haute fonction publique. Directeur de la rédaction de la revue Sociétal, président de la Société d’économie politique depuis mars 2023il a mené en parallèle une carrière d’économiste et d’universitaire : chargé d’études à l’OFCE, professeur d’économie à l’ESCP Europe, à l’École des Mines, à Paris X et à l’ENSAE. Il est enfin chroniqueur et éditorialiste au journal les Échos depuis 2015 et apparaît régulièrement sur la chaîne d'information BFM Business. Il a tenu pendant dix ans une chronique sur l’histoire des idées et des faits économiques au journal Le Monde

JMDaniel Visuel

Comment avez-vous connu l’ICES ? Connaissiez-vous des professeurs ? Comment est-on venu vous chercher ?

« J’ai connu l’ICES un peu par hasard. Je connais depuis très longtemps Thierry Lentz, très investi dans les études sur Napoléon. Je l’ai rencontré, nous avons sympathisé. En particulier, il m’a fait intervenir à la Fondation Napoléon sur le grand économiste Jean-Baptiste Say qui était un contemporain de Napoléon et sur l’analyse économique du blocus continental. Il m’a un jour parlé de l’ICES et nous avons évoqué l’éventualité que je vienne. J’étais partant ! »

Quel cours donnez-vous aux étudiants ?

« C’est la première fois que j’interviens ici, pour des premières années en économie-gestion, dans un cours intitulé "Histoire de l’économie mondiale". »

Que pensez-vous de cet établissement et de ses étudiants ? 

« Je suis persuadé que la France est encore « Paris et le désert français ». Il est indispensable de faire émerger des pôles d’excellence ailleurs que Paris, Lyon et Bordeaux ! Je dis Bordeaux un peu par chauvinisme car c’est là que je suis né … Ici, les étudiants sont cultivés et bien plus motivés que la plupart des étudiants. Dans une institution comme l’ICES, calée sur le monde universitaire, l’effort à fournir par les étudiants est mieux réparti que dans beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur tels que les prépas, et la taille humaine des effectifs permet une proximité et une assiduité. »

Que pensez-vous de l’enseignement en économie et en gestion aujourd’hui en France ? Est-il est exclusivement théorique ou se rapproche-t-il de la réalité des choses ? Y a-t-il beaucoup d’idéologie dans cette discipline ? 

« Je pense qu’il y a beaucoup d’idéologie en amont, dans les lycées, mais cela se corrige. Il y a quelques années, le professeur de "sciences économiques et sociales" (SES) était souvent un professeur de géographie reconverti dans le domaine de l’économie. La jeune génération est actuellement formée par des professeurs d’économie plus intéressés par la matière et maîtrisant l’anglais. Mais malgré les efforts de personnes telles que Philippe Aghion, professeur au collège de France et ex-président d’une commission révisant les programmes scolaires, l’enseignement reste néanmoins encore très idéologique. 

Quand on regarde maintenant du côté de l’enseignement supérieur, les choses sont en train de se disjoindre. On a un enseignement de l’économie de moins en moins apprécié puisque très théorique et ayant du mal à savoir comment s’organiser autour des mathématiques. Les grands économistes de référence aujourd’hui en France sont des normaliens agrégés de maths et des polytechniciens. L’enseignement universitaire tente donc de se mettre en phase avec ce modèle et essaye, à tort, de faire des étudiants des polytechniciens ! 

L’enseignement de gestion, quant à lui, se développe autour d’un archétype : les écoles de commerce, qui sont parmi les mieux notées sur le plan international (HEC notamment). Il me semble que c’est donc plutôt bien mené et le fait que des institutions comme l’ICES ou Dauphine essaient de suivre ce modèle d’excellence est d’autant mieux qu’HEC devient hors de prix. »

Quelles sont les compétences et les qualités essentielles que vous encouragez chez vos étudiants pour qu’ils puissent apporter un éclairage économique pragmatique, réel, et non fondé sur l’idéologie ? 

« D'après Alfred Marshall, 1er véritable professeur d’économie de l’histoire, l'économie est de la physique appliquée à la société ; pour être véritablement économiste, il faut selon lui aimer les mathématiques, se passionner pour l'histoire et avoir un grand sens de la démocratie, en recherchant continuellement la liberté. S'imprégner de la culture britannique est ainsi souhaitable, de même que la maîtrise de l'anglais doit être indispensable. 

Il ne faut toutefois pas se faire d'illusion. L'économiste pur a peu de débouchés. On peut aujourd'hui noter trois types d'économistes en France : les théoriciens mathématisés normaliens ou polytechniciens (tel que Pierre-Olivier Gourinchas qui est l’économiste en chef du FMI), ceux exerçant dans l'enseignement universitaire et ceux occupant des postes dans la haute fonction publique. » 

Finalement, pourquoi faire de l’économie aujourd’hui ? 

« Aujourd'hui, la science économique joue un grand rôle dans le monde. L'économie est devenue un élément de la réflexion civique. Or, il se trouve que nous sommes dans une phase où les solutions traditionnelles ne marchent plus et où le besoin de renouveler la pensée se fait sentir. Il est ainsi essentiel d'avoir des esprits bien formés pour répondre aux enjeux actuels et à venir : baisse de la croissance, inefficacité de la politique monétaire, dettes, baisse de la productivité, problème démographique... »