Mercredi 15 juin 2022, l’ICES a inauguré une salle en hommage au professeur Jean Pradel (1933-2021). L’Institut tenait à honorer la mémoire de ce professeur hors norme d’une profonde humanité et à témoigner de sa gratitude pour les services rendus à l’ICES pendant des décennies. Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences sociales de l’université de Poitiers, le professeur Michel Moreau, ancien conseiller d’État en service extraordinaire, ancien recteur d’académie, et directeur général du CNED a fait l’éloge de son confrère et ami.
Discours d’Eric de Labarre, Président de l’ICES
"Madame, monsieur,
Monsieur le professeur,
Chers collègues, chers amis,
Je vous remercie de votre présence pour participer à ce temps important et symbolique de la vie de notre communauté universitaire. Un an déjà ou presque que le professeur Jean Pradel nous a quittés le 12 juillet 2021. Je ne voulais achever ma mission de président de l’ICES sans que la mémoire de Jean Pradel ne soit honorée.
Pourquoi ? Il y a deux raisons :
Une raison générale : la volonté de répondre aux exigences du projet éducatif de cet établissement et de le renforcer. Ce projet éducatif, au-delà de l’excellence disciplinaire, est la condition de la réussite des étudiants qui nous ont fait confiance.
Parmi ses fondements : lutter contre l’anonymat, toute première source de l’échec des étudiants dans l’enseignement supérieur et, une intuition personnaliste de notre projet. Ce souci de lutter à tout prix contre l’anonymat comporte au moins deux dimensions :
- une dimension horizontale en assurant le lien entre les étudiants, importance de la vie étudiante et du réseau d’associations, et aussi entre les étudiants, le corps professoral et l’ensemble des personnels de l’établissement (accompagnement des étudiants).
- une dimension verticale en veillant à l’enracinement des apprentissages disciplinaires dans l’histoire, et dans une histoire longue.
Et pour cela, personnaliser, donner chair, incarner, offrir des figures exemplaires aux étudiants.
L’ICES, ce n’est pas seulement un lieu, c’est aussi un esprit qu’il faut pouvoir expérimenter : d'où le choix de dénommer les lieux. Albert Camus disait que « mal nommer les choses, c’était ajouter au malheur du monde », mais ne pas les nommer du tout est bien pire encore, c’est nier notre existence et donc rejeter notre humanité. Les bâtiments du campus (Saint-Thomas d’Aquin et Saint-Benoît) ; les amphis et les salles portent les noms de figures exemplaires qu’elles soient anciennes (Richelieu ou Ozanam) ou contemporaines (Hélie de Saint-Marc ou Edmond Michelet)
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour une raison particulière : la volonté d’honorer des enseignants qui ont compté pour l’ICES en leur donnant leurs noms à divers lieux de notre université. Jean Pradel est le premier professeur de l’ICES dont le nom honorera une salle d’enseignement.
Il y a de nombreuses raisons objectives de le faire car Jean Pradel était membre du comité de parrainage de l’ICES en un temps où l’ICES n’était pas installé et il fallait donc un certain courage à une professeur d’une université publique pour patronner un établissement tel que le nôtre. Il était un enseignant d’une absolue fidélité à l’ICES pendant plus de 20 ans et quasiment jusqu’au jour de son départ. Enfin, Jean Pradel était un savant mais aussi un savant chrétien qui n’hésitait pas à porter ses convictions personnelles dans le respect des exigences scientifiques, ce qui lui a valu d’être fait chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand par Mgr Castet, évêque de Luçon, en mars 2012.
Mais ce qui compte plus que les raisons objectives, ce sont les raisons subjectives qui tiennent tout autant à l’homme qu’au professeur. Des expériences au cours desquelles j’ai eu le privilège de côtoyer Jean Pradel, j’ai pu mesurer les qualités de la personne :
- Un grand professeur certes, mais un homme simple et affable.
- Un homme généreux, attentif, à l’écoute, modéré, mais toujours ferme dans ses opinions doctrinales, même lorsqu’il savait son avis minoritaire, voire très minoritaire
- Un intellectuel qui, malgré l’âge, a gardé toute sa fraîcheur d’esprit et son goût des relations avec les jeunes sans succomber à la moindre démagogie pour s’attirer l’estime de ses étudiants de 50 à 60 ans plus jeunes. Le seul autre exemple de cette sorte que j’ai eu la chance de connaître et de voir à l’œuvre a été le grand historien René Rémond
Nous ne l’oublierons pas et, là où il se trouve, il ne nous oubliera pas."
Éric de Labarre,
Président de l’ICES
Extraits du discours du professeur Michel Moreau, ancien conseiller d’État en service extraordinaire, ancien recteur d’académie, et directeur général du CNED
"Hommage à M. le Professeur Jean PRADEL,
En préambule, je souhaite, Monsieur le président, vous remercier des propos aimables tenus à mon égard, sachez que je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour honorer dans votre belle institution, un grand universitaire, le Professeur Jean PRADEL. Avec des mots simples, justes et sincères, il convient de vous féliciter, et plus largement l’ICES, pour l’hommage rendu aujourd’hui et le baptême d’une salle Jean PRADEL qui perpétue sa présence. On dit que les personnes morales n’ont pas de cœur, mais, en leur sein, il y a des personnes physiques qui ont de la mémoire, de la reconnaissance et de la délicatesse. La gratitude qui vous est due pour cette initiative et pour la présence de vos invités est partagée, j’en suis sûr, par Mme Marie-Thérèse PRADEL, par ses deux filles Odile et Marie-françoise et son fils Monsieur le conseiller Xavier PRADEL.
Au premier abord, je ne me sentais pas forcément le plus qualifié pour rendre hommage au professeur PRADEL : en effet, c’était un pénaliste, un grand pénaliste et je suis civiliste et internationaliste ; en outre, je n’ai jamais enseigné à l’ICES.
Pourtant, sans doute avec un peu de présomption, j’ai accepté d’honorer en ces lieux un grand ami pour lequel j’éprouvais une très vive estime personnelle nourrie d’une profonde admiration pour ses qualités professionnelles. Quant aux liens avec l’ICES, Jean m’a si souvent évoqué son plaisir d’enseigner ici, d’y trouver une maison accueillante et bien organisée, des collègues estimés ainsi que pour cet enseignant-né, des étudiants attentifs, que je me retrouve grâce au témoignage ainsi reçu, comme un ami de votre famille. Jean Pradel était très attaché à votre institution où il appréciait la liberté d’enseigner au sein d’un établissement clairement catholique qui faisait écho à sa foi profonde. [...]
[...] Ce panorama d’une carrière exceptionnelle décrit le parcours d’un homme, mais au fond ne le fait pas vraiment connaître ; on n’y voit pas assez toute cette palette de qualités personnelles qui expliquent cette carrière comme l’amitié et l’estime de tous ceux qui ont approché Jean.
Ayant eu cette chance, je souhaite vous le présenter en suivant mon propre regard qui a distingué le juge, le professeur de faculté et l’homme de conviction.
LE JUGE
Jean Pradel a été magistrat pendant une décennie environ. Il a apprécié les relations avec les autres juges mais surtout l’activité de pénaliste qui lui était confiée ; il est probable que c’est, à cette époque, que va s’épanouir son goût pour la procédure pénale. [...]
Parmi les universitaires, Jean avait gardé la qualité de juger, de prendre des décisions, ce qui n’est pas toujours la qualité la plus répandue chez ses collègues. Le respect au fond affectueux pour le monde de la justice qu’il avait gardé, ne l’aveuglait pour autant et certains dérapages juridico-politiques de notre temps ne le portaient pas vraiment à l’indulgence. [...]
LE PROFESSEUR DE FACULTÉ
Jean aimait enseigner et il le faisait admirablement bien : La voix était puissante, sa parole aimable, claire, rigoureuse et drôle quand il le fallait. [...]
Faire cours ou parler dans un colloque était une fonction naturelle qu’il exerçait impeccablement, les étudiants pourraient en témoigner encore mieux que moi.[...] Pénaliste internationalement connu et reconnu, Jean PRADEL était dans sa matière pénale au sens large, un savant. Il est l’auteur d’un œuvre considérable pour ne pas dire exceptionnelle par son ampleur et son autorité.[...]
L’HOMME DE CONVICTION
Sur trois points au moins les grandes qualités personnelles de Jean PRADEL pouvaient être observées : sa famille, sa passion de la préhistoire et sa foi catholique.
Il suffisait de connaître un peu Jean pour savoir qu’il éprouvait un très grand attachement pour sa famille dont il parlait avec délicatesse et humour.[...]
Il suffisait de connaître un peu Jean pour que très vite se manifeste la passion de la préhistoire qu’il tenait de son père.[...]
Ce n’est évidemment pas un hasard si Jean se sentait bien à l’ICES ; catholique pratiquant, il y retrouvait des valeurs appréciées et les principes de la doctrine catholique qu’il n’hésitait pas à soutenir dans des conditions pas toujours simples dans l’environnement universitaire public qu’il devait parfois affronter.[...]
On ne peut parler de Jean PRADEL sans évoquer pour terminer son sourire toujours avenant et plein de sympathie, un visage ouvert et un esprit fin toujours disponible pour écouter les autres : c’était un homme bien… Il est de ceux qui laissent une trace profonde et durable dans les têtes et dans les cœurs."
Le 15 juin 2022,
Recteur Michel MOREAU
Agrégé des facultés de droit
Universités de Poitiers et de Paris-Descartes
Ancien conseiller d’Etat en service extraordinaire