Un ambassadeur et professeur à l’ICES

28 novembre 2022

Bruno Foucher est diplomate. Ambassadeur de France au Tchad puis au Liban, il préside actuellement le conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Depuis la rentrée 2022, il donne un séminaire de géopolitique aux étudiants du master Relations internationales à l’ICES.

Ambassadeur Foucher

Monsieur l’ambassadeur, quel cours donnez-vous à l’ICES ?

Matthieu Grandpierron, directeur de la licence de science politique et le général Blachon, doyen de la faculté de science politique et d’histoire, m’ont demandé de faire un cours de géopolitique intitulé “Fractures et régulations” qui a pour but de présenter les instruments forgés par la diplomatie depuis 1945 pour gérer des situations de crise. J'ai très souvent constaté qu'on voyait le travail accompli depuis 1945 de façon critique, alors que de nombreux instruments ont été mis en place et fonctionnent, mais de manière habituelle on ne parle que des crises.

Ce séminaire permet aussi de mettre en avant le fait que ces instruments de régulation ne suffisent plus aujourd’hui parce que le monde connaît de nombreuses fragmentations. Il y a des puissances montantes et des résistances puissantes. Il y a des enjeux transnationaux qui font apparaître de nouveaux acteurs qui ne sont pas seulement les États mais aussi d’autres entités : les organisations internationales, les réseaux sociaux et les ONG. De ce fait, le monde des relations internationales s’est beaucoup complexifié. Je pense que ce séminaire est l’occasion de faire état de ces évolutions, de faire un bilan de tout ce qui a été conduit depuis 70 ans et d'en tirer un certain nombre de conclusions.

Comment définiriez-vous l'activité diplomatique aujourd’hui qui fait rêver plus d'un étudiant ?

Aujourd’hui, le diplomate, et a fortiori l’ambassadeur, est un chef d’orchestre. Il a des fonctions multiples qui concernent tant la politique, l'économie, que la culture à l’étranger. Il lui faut déployer, avec ses collaborateurs, toutes ses compétences pour faire parler de son pays en termes favorables, dans ces trois domaines. Ce n'est pas le métier de représentation qu’on imagine, image qui nous colle à la peau avec les publicités des années 80, la représentation n'est pas le travail majoritaire d’un diplomate. La diplomatie est d’abord un métier de contact, d’explication et d’influence, là où il y a la compétition.

Cette compétition nous oblige à être aussi bons que possible et si possible, les meilleurs. Je viens de faire un cours sur le "soft-power" (l’influence) de la France et j'expliquais à mes étudiants combien notre déploiement à l‘étranger dans le domaine culturel était pensé. Rien n’est laissé au hasard et il ne s’agit pas d’occuper le décorum ou d’ "amuser" nos expatriés, l’objectif est que l’on parle de la France en termes positifs, que la France renvoie une image créative et moderne à l’étranger. La France estime avoir des choses à dire dans le débat mondial. Cela entraînera des conséquences dans le domaine économique.

Plus un pays a une image positive, plus on a envie de le visiter, plus le tourisme se développe, celui-ci est un secteur fondamental de l’économie française, donc tout est lié. Le caractère international d’un pays fait partie intégrante de son économie et de la perception que l’on a de lui à l’étranger.

Quelles sont selon vous les principales qualités humaines d’un diplomate ?

La première qualité, je crois, est d’être curieux. Il faut avoir envie d’aller vers le monde extérieur, envie de s’intéresser aux cultures étrangères, envie d’écouter l’autre. Vous n’êtes pas dans une position où on vous demande de convaincre l’autre de penser comme vous, il faut échanger. Cela demande cette autre qualité : l’empathie. De plus, particulièrement dans des pays difficiles, il faut savoir prendre le temps. Vous savez, les Français à l’étranger n’ont pas toujours une bonne réputation et Montaigne lui-même, dans ses voyages en Italie, le soulignait avec force. C’est tout cet effort de compréhension qu’il faut produire, qui fait que quand vous écoutez, vous êtes entendu.

Vous êtes à la fois littéraire et vous avez la particularité d’être statisticien : on n’imagine pas un diplomate avec un tel cursus.

C'est un pur hasard lié aux concours, j’avais imaginé un plan B pour le cas où je réussirai pas à rentrer en diplomatie à l’issue de l’ENA. J’aime les chiffres, je m’y sens très à l’aise et, parce que les statistiques illustrent la réalité, j’y suis attentif à l’étranger. Très souvent, on reste au niveau des mots mais si on y met des chiffres, on découvre la réalité.

Général Blachon

Récemment une étudiante s'interrogeait : "mais ne sommes-nous pas en déclin ?",  je lui ai répondu : “Regardez notre réseau international : nous avons 120 instituts français dans des pays étrangers, 880 Alliances françaises dans le monde, il n’y a pas d’autres pays qui l’équivalent”. Le chiffre est important pour comprendre une réalité mondiale. On ne peut se satisfaire d’idées générales.

Que souhaitez-vous transmettre aux étudiants qui suivent votre cours ?

Ce sont de bons étudiants. Arrivés en master, ils n’ont pas toujours une connaissance approfondie des relations internationales. C’est un domaine compliqué, car il faut avoir beaucoup de connaissances dans des domaines différents. La maîtrise des relations internationales nécessite d’avoir une bonne culture, dans le domaine de la géographie, du droit et de l’économie. Les étudiants ont la chance d’être une génération connectée, ce qui n’était pas le cas pendant mes études, il n’y avait que les livres et les bibliothèques. Aujourd’hui, il est facile d'accéder à l’information, cependant, il faut qu’ils apprennent à chercher les éléments dont ils ont besoin pour comprendre des réalités qui sont toujours complexes. Il faut donc travailler et découvrir. Les étudiants doivent profiter des enseignements qui leur sont offerts et du temps dont ils disposent pour forger leurs outils de réflexion, déterminer les secteurs dans lesquels ils souhaitent approfondir leurs recherches. S’ils ont choisi, il faut alors mettre toutes les chances de son côté, ne pas s’autocensurer. Ils n’y a que ceux qui tentent qui réussissent. Il n’y a que le travail qui paie.